Le cheval en anthropozoologie. De l'outil au partenaire

Pour pouvoir nous relier aux animaux, nous devons les rendre pertinents pour nous, c’est-à-dire les faire entrer dans des histoires humaines. Or le face-à-face avec un animal nous met en présence d’un être qui possède éventuellement certaines structures communes avec nous (p. ex. c’est un mammifère, il 4 membres, etc.) mais qui, surtout, est différent de nous dans son apparence et son comportement. Comment alors rendre les animaux pertinents ? Comment nous relier à eux ? Comment les faire entrer dans des histoires humaines et à quel prix ?
Pour aborder ces questions, deux propriétés des rencontres animales sont à souligner :
1. La réalité animale fait obstacle : elle est difficile à appréhender car trop différente de nos propres structures (mentales, comportementales, psychiques et sociales). Les éléments perceptifs portés par les animaux, qui permettront à l’être humain de reconnaître des structures sur lesquelles s’appuyer sont rares, hétérogènes et dispersés dans le cours de l’interaction (une mimiques faciale, une raideur musculaire, un changement de rythme, un comportement,...). C’est pourquoi la rencontre avec les animaux mobilise fortement l’imaginaire (et son corollaire, l’illusion) car c’est ce dernier qui permet d’unifier l’expérience et d’intégrer ces éléments dispersés dans un tout qui fait sens. C’est pourquoi on peut considérer que la rencontre avec les animaux prend place dans ce que le psychanalyste anglais Donald Winnicot a appelé l’espace intermédiaire.
2. Heureusement, il existe des pratiques culturelles qui organisent les rencontres en construisant des catégories dans lesquelles ranger les animaux (outil, proie, compagnon, animal de laboratoire etc.), en prescrivant des comportements et en disposant les gens aux émotions appropriées. On peut considérer que ces pratiques culturelles fonctionnent comme des « scénarios ». Ces pratiques culturelles sont des dispositifs qui dispensent les individus du travail d’unification de sa propre expérience. Elles permettent de se relier aux animaux, de les faire entrer dans des histoires humaines sans réaliser soi-même le travail d’intégration de son expérience. En quelque sorte, on mobilise un imaginaire collectif plutôt qu’un imaginaire individuel.
Ces deux propriétés des rencontres animales font que l’identité des animaux, telle qu’on la perçoit et telle qu’on l’éprouve, est instable. Il y a des passages ou des « sauts » de catégorie, par exemple entre l’outil et le partenaire. Dans certains cas le changement d’identité est rapide, dans d’autres il fait l’objet de rituels sophistiqués. Mais dans tous les cas le changement de statut s’accompagne d’un changement des dispositions (émotionnelles, relationnelles et perceptives) chez l’être humain.
Partant de ces constats, la troisième partie de l’exposé se demandera s’il est possible de développer un savoir pratique qui s’émancipe des scénarios culturels habituels et, s’il faut recourir à l’imaginaire, comment aller vers une connaissance empathique qui tienne compte de l’altérité plutôt que vers l’illusion ou la projection anthropomorphique.