Le travail de fin d'études au secondaire : une acculturation aux discours universitaires?

En Fédération Wallonie-Bruxelles, un certain nombre d'établissements secondaires (offrant un cursus général ou technique) imposent aux étudiants achevant leur cursus obligatoire la rédaction d'un travail de fin d'études (TFE). Dans ce travail de longueur variable (une vingtaine de pages ?), les élèves, sous la supervision d’un enseignant, traitent d’un sujet qui leur tient à cœur (du cinéma néoréaliste italien à la résilience en passant par le tourisme en Égypte). Ma contribution s'articule autour de trois questions centrales.

D'abord, quel pacte scriptural est proposé par les enseignants aux élèves? Autrement dit, quelles sont les attentes professorales concernant cet écrit spécifique? De quel enseignement fait-il l'objet (ou pas)? Plus particulièrement, quelles sont les normes discursives attendues par les enseignants? Dans quelle communauté discursive (Bernié) sont enrôlés les élèves ?

Ensuite, quelles pratiques langagières sont repérables dans un corpus de TFE ? Plus concrètement, comment s’emparent les élèves de la tâche prescrite ? Des types de TFE contrastés, correspondant à autant de postures scripturales (Bucheton), peuvent-ils être identifiés ? Je m’affilie ainsi aux travaux compréhensifs, descriptifs, d’inspiration sociolinguistique, initiés par Bautier : il s’agit d’envisager les tentatives effectives des apprenants, non de considérer les manques ou carences dont souffriraient les textes. Ce type d’analyse est davantage susceptible de donner à voir les difficultés réelles des sujets et, partant, de sous-tendre des dispositifs de formation plus efficaces, car plus en prise avec des besoins mieux cernés.

Enfin et surtout, le TFE constitue-t-il un outil de transition efficace et approprié entre l’enseignement secondaire et l’enseignement supérieur tel qu’il est dispensé en haute école et à l’université ? Ainsi, les compétences et composantes identitaires mobilisées par le TFE s’avèrent-elles congruentes (ou pas) avec celles qui seront sollicitées à l’entrée au supérieur ? Dans quelle mesure le TFE peut-il dès lors contribuer à acculturer (Pollet) les élèves-presque diplômés du secondaire aux exigences cognitives, discursives et identitaires requises par la haute école ou l’université ?

La question des écrits mobilisés au supérieur est donc traitée ici en amont : elle s’inscrit dans la problématique de la toujours difficile et délicate transition entre le secondaire et le supérieur (Dufays et al.). Mes résultats indiquent en particulier le hiatus existant entre le contrat cognitivo-discursif propre au TFE au secondaire et celui régissant les écrits académiques. Mes conclusions suggèrent par conséquent des voies nouvelles à explorer pour les formateurs officiant en haute école ou à l’université. En effet, le TFE sollicité au secondaire contrevient complètement aux attentes académiques sur un très grand nombre de dimensions : le rapport au savoir (Charlot), le positionnement énonciatif (Reuter), les modalisations (Bronckart), le circuit argumentatif (Delcambre), la gestion de la polyphonie discursive (Boch, Grossmann)… Le risque est alors que le TFE entrave l’appropriation par l’étudiant novice des normes académiques auxquelles il sera soumis sans transition, plutôt qu’il ne la facilite. S’ensuit un nouveau questionnement : comment le TFE pourrait-il constituer à la fois « la clé de voute » (Paquay) des études obligatoires et un auxiliaire efficace du processus d’affiliation (Coulon) à l’enseignement supérieur ? La question s’inscrit dans la problématique de la nécessaire démocratisation des études académiques, à l’encontre d’un phénomène de massification (Bautier & Rochex) : la visée se veut quelque peu militante, au service d’un enseignement plus juste et efficace (Crahay).