Abstract :
[fr] Il s’agit de se demander quelles peuvent être, dans le cas des discours médiatiques, les conséquences d’une logique de la transparence sur la constitution de l’espace public, en partant d’une analyse de l’énonciation journalistique.
Les discours médiatiques sont considérés comme opérant une médiation, c’est-à-dire une “mise au monde” (Mouillaud et Tétu, 1989) des individus destinataires, cette “mise au monde” impliquant une proposition de monde et un appel à un collectif susceptible d’en répondre, sur le modèle du jugement de goût kantien tel qu’il est analysé dans sa dimension politique par Arendt (1991). Cette position théorique a pour corollaire de considérer que l’énonciation médiatique est inachevée et ne peut être achevée que par celui (journaliste ou public) qui en répond ; la question de la responsabilité y est par conséquent susceptible de témoigner d’une inscription politique des discours.
Les médias d’information se modèlent depuis quelques décennies sur un idéal d’objectivité (ou d’impartialité) qui les conduit à préférer des formes discursives opérant un effacement des marques énonciatives (Koren, 2006). Parallèlement, l’un de leurs discours de légitimité repose sur un devoir de révélation, entendue comme lutte contre l’obscurité ou le secret, et s’exprimant dans le genre “noble” de l’investigation. Si la révélation peut en soi renvoyer à un principe de publicité porteur de normes, de droits, de valeurs, l’idéal d’objectivité mène au contraire à refuser d’assumer un point de vue et, du même coup, à refuser d’assumer que le discours soit porteur de principes normatifs sujets à discussion. Or, on peut estimer qu’objectivité et révélation se rencontrent dans une forme énonciative propre, qui doit en partie son expansion aux innovations technologiques récentes : la monstration.
Il s’agira d’analyser cette forme énonciative particulière de la transparence que constitue la monstration, en la confrontant d’une part au principe de révélation, et d’autre part à la notion d’apparition formalisée par Rancière (1995). Si la révélation est fondée sur une logique du dévoilement et l’apparition sur une logique de l’apparence (Rancière, 1995), la monstration relève d’une logique de l’évidence. Son mode d’adresse au destinataire, la manière dont elle “met en corps son lectorat” (Muhlmann, 2004) et les collectifs qu’elle configure ou dont elle se soutient sont par conséquent très différents.