Abstract :
[fr] Nous voudrions ici suggérer que l'économie alternative, pour s'imposer comme mouvement social à part entière dans la cohue des initiatives post-soixante-huitardes, a principalement campé ses argumentaires dans diverses publications sur deux topiques spécifiques, l'une artiste, l'autre sociale, dira-t-on pour paraphraser le Nouvel esprit du capitalisme de Luc Boltanski et Eve Chiapello (ouvrage majeur pour le présent article). Dans une premier temps, l'économie alternative se distingue par le fait même d'avoir été en mesure d'articuler ces deux topiques dans un imaginaire cohérent. En son sein, le désir d' « inventer » une autre économie est une passion partagée par tous, la reconnaissance d'une commune humanité dans l'alternative. Mais dans un second, les deux grandes figures de l'économie alternative que sont respectivement l'ALDEA (agence de liaison des entreprises alternatives) et le comité de rédaction de la revue Autrement, vont, plus ou moins volontairement, se concentrer sur l'une ou l'autre topique pour justifier leur action, omettant par là même le conseil fondamental d'Aristote soulignant, un peu comme le feront les phénoménologues à l'égard des attitudes de consciences intentionnelles, qu'à défaut d'une argumentation susceptible de sauter d'une topique à l'autre, l'on risque de faire subir à la cause défendue un important préjudice puisque c'est autant de façons séduisantes de la donner à voir que l'on perd . Plusieurs indices lexicaux viennent étayer ces dissonances topiques puisque c'est à ce moment précis, c'est à dire à la fin des années 80, que l'attention à l'égard de l'économie d'insertion dans les publications spécialisées vient remplacer celle jusqu'alors octroyée à l'économie alternative. Que peut-on déduire de cette transition ? Quelle influence ces états d'esprits voulus alternatifs ont-ils eu sur l'état « capitaliste » ? Constituent-ils encore un mode d'appréhension du monde dans lequel il est possible de trouver une réelle autonomie ? Autrement dit, l'économie alternative, de plus en plus perçue comme une économie d'insertion, conserve-t-elle un espace imaginaire spécifique où l'humanité commune est reconnue et partagée autrement que par le truchement de la citoyenneté propre aux Etats sociaux-démocrates ou par le truchement d'une existence sur le marché ?