Abstract :
[fr] La maladie d’Alzheimer constitue une affection fréquente et très invalidante tant sur le plan individuel que social ou affectif. Elle s’inscrit comme un objectif majeur de recherche dans la mesure où elle constitue de par sa fréquence, les complications qu'elle entraîne et les soins multidisciplinaires lourds et coûteux qu'elle nécessite, un enjeu majeur pour l'économie de la santé des pays industrialisés.
L’anosognosie qui complique souvent le décours de la maladie est un symptôme complexe, variable dans sa présentation tant au fil de l’évolution de la maladie que d’un patient à l’autre. La présence de l’anosognosie peut notamment compliquer le diagnostic ou la prise en charge voire mettre en jeu la sécurité du patient ou de ses proches. Elle peut, virtuellement, intéresser tous les domaines de la cognition. Tant sa prévalence que les mécanismes qui la sous-tendent au niveau anatomique ou fonctionnel demeurent méconnus et largement débattus dans la littérature.
Dans cette optique, les corrélats neuraux de l’anosognosie doivent être mieux précisés et intégrés dans un modèle de fonctionnement global de la conscience de soi.
Le domaine de l’anosognosie et en particulier celui de l’anosognosie portant sur les traits de la personnalité demeure donc un champ de recherche ouvert ou de nombreux travaux doivent encore être réalisés. C’est dans cette optique que nous avons choisi de mener notre étude.
Le propos de notre ouvrage est donc l’étude des mécanismes de l’anosognosie par une approche tant comportementale que par le biais de la neuroimagerie fonctionnelle (IRMf et TEP). Au vu de l’étendue et de la complexité du sujet abordé, nous avons centré notre travail sur l’anosognosie portant sur les traits de personnalité. Au niveau cérébral, nous avons tout particulièrement étudié l’implication des régions préfrontales médiales dans ces processus de représentation de soi et dans la genèse de l’anosognosie portant sur les traits de personnalité.
Notre première étude avait pour objectif d’étudier l’activité et la spécialisation fonctionnelle des régions préfrontales médiales au cours de la réflexion sur soi. Pour ce faire nous avons présenté à des volontaires jeunes une série d’adjectifs descriptifs. Durant l’acquisition en IRMf les sujets devaient juger à quel point ces adjectifs les décrivaient ou non. Juste après l’acquisition fonctionnelle, les sujets devaient à nouveau juger à quel point les mêmes adjectifs les décrivaient et de surcroît, ils devaient préciser à quel point ils avaient la certitude de posséder ou non ce trait de caractère et à quel point il était important pour eux de le posséder ou non.
Les analyses de régression réalisées à partir de ces données ont démontré que l’activité au sein du cortex préfrontal dorsomédial étant corrélée à une évaluation de nature cognitive (certitude de posséder un trait de personnalité) et l’activité du cortex préfrontal ventromédial paraissant associée à des processus de nature émotionnelle (importance de posséder un trait de personnalité).
Notre seconde étude avait comme objectif d’explorer les corrélats neuraux de l’anosognosie portant sur les traits de personnalité dans la maladie d’Alzheimer.
Nous avons donc étudié une population de sujets présentant une maladie d’Alzheimer débutante et une population de sujets âgés sains auxquelles nous avons présenté divers questionnaires de jugement de personnalité. Nous avons également acquis une image du métabolisme cérébral de repos à l’aide de la TEP au 18 FDG chez ces patients et ces contrôles.
Les résultats de cette étude suggèrent que l’anosognosie portant sur les traits de personnalité ne repose probablement pas entièrement sur un déficit de réactualisation des informations autobiographiques et du Self mais peut également être le fruit d’un déficit au niveau des capacités de prise de perspective à la troisième personne. Cette étude suggère également que le cortex préfrontal dorsomédial joue probablement un rôle dans ces mécanismes de prise de perspective.
Notre troisième étude avait pour but d’évaluer le modèle dit « à deux voies » du syndrome de Capgras (Ellis et Young, 1997) qui constitue le modèle dominant de ce trouble dans la littérature et d’étudier l’implication des régions préfrontales médiales dans les processus de récupération des informations liées à un visage, de prise de perspective et de référence à autrui ou à soi-même. Pour ce faire nous avons acquis une image structurelle (en IRM) et une image fonctionnelle au repos (à l’aide de la TEP) du cerveau de notre patiente et nous avons comparé ces images à celles d’un groupe de sujets sains et de sujets présentant une maladie d’Alzheimer débutante.
Les résultats de cette étude remettent quelque peu en question les corrélats anatomiques du modèle à deux voies du syndrome de Capgras et compte tenu des mécanismes actuellement connus de la reconnaissance des visages, semblent apporter de nouveaux arguments à l’hypothèse d’un rôle de centre d’intégration des informations liées à un visage et de la représentation d’autrui pour le cortex dorsomédial préfrontal.
L’ensemble des résultats de ce travail démontre encore une fois combien les mécanismes de l’anosognosie et ceux de la conscience de soi sont complexes, intriqués et encore largement méconnus. Nous avons pu souligner l’importance du cortex préfrontal médial dans les processus de réflexion sur soi et d’évaluation du Self et en préciser la sous spécialisation fonctionnelle, l’activité au sein du cortex préfrontal dorsomédial étant corrélée à une évaluation de nature cognitive et l’activité du cortex préfrontal ventromédial paraissant associée à des processus de nature émotionnelle.
Nous avons également pu démontrer que l’anosognosie portant sur les traits de personnalité actuelle semble davantage liée à une altération des capacités de prise de perspective tierce qu’à un déficit de réactualisation des informations autobiographiques (petrified Self). Ce dysfonctionnement des capacités de prise de perspective a également pu être corrélé à un dysfonctionnement (hypométabolisme) des régions préfrontales dorsomédiales. La dernière partie de notre travail nous permet en outre d’envisager et de mieux comprendre la complexité du rôle de ces structures préfrontales médiales et en particulier du cortex préfrontal dorsomédial, qui semble constituer, comme l’ont déjà suggéré plusieurs auteurs, un carrefour d’intégration important pour un ensemble complexe de processus cognitifs impliqués dans la représentation d’autrui, des ses intentions et de ses états mentaux, constituant ainsi une partie prenante du réseau cérébral ayant souvent été désigné par le terme de cerveau social (social brain).
